Les enchères, pratique emblématique de la post-modernité

Tribune publiée dans Beaux Arts Magazine le

Lorsque, à la fin des années 90, j’ai décidé de devenir commissaire-priseur, nombre de mes proches n’ont pas caché leur stupéfaction : pourquoi choisir une profession anachronique, menacée par l’évolution de la législation européenne, la globalisation du marché de l’art et l’essor des nouvelles technologies ? À leurs yeux, je m’apprêtais à commettre une sorte de suicide professionnel…

Depuis, les années ont passé et notre profession a déjoué ces sombres pronostics. Elle est toujours là, bien vivante, pleine de projets et de confiance dans l’avenir. Comment l’expliquer ? Certains évoquent, non sans raison, le dynamisme singulier de professionnels qui, plutôt que s’arc-bouter sur leur statut, ont préféré voir dans les mutations en cours des opportunités à saisir. Au fil de ma carrière, j’ai toutefois acquis la conviction que ce succès collectif tenait aussi au fait que, loin d’être désuète, notre profession est en adéquation totale avec les valeurs émergentes de notre époque.

Voici quelques années, le sociologue Michel Maffesoli observait que “la postmodernité se trouve marquée par un retour à l’archaïsme, un attachement au passé, au dépassé, au fondamental. Et il précisait que “cela se manifeste notamment par une façon de s’habiller et de se meubler (1). Les commissaires-priseurs et leurs clients se retrouvent sans nul doute dans ce diagnostic. En marge d’une société du “tout jetable, ils affirment un profond penchant pour le “durable et le “singulier : les œuvres de créateurs, d’artisans, de designers ou même de simples objets manufacturés devenus rares.

Cette quête exprime un rapport renouvelé au temps. Plongés dans un monde où tout se veut éphémère, périssable et interchangeable, nos contemporains veulent redonner du sens et de la profondeur aux choses. Or, telle est aussi la fonction du commissaire-priseur qui ne manque pas de “raconter les œuvres. Comme l’écrit le journaliste spécialiste de la mode et du design Pierre Léonforté à propos de la vogue pour le “vintage, “ces objets s’inscrivent dans l’époque comme les maillons d’une longue chaîne affective, au même titre que les meubles hérités de nos grands-parents(2).

Il faut donc cesser de s’inquiéter pour l’avenir des enchères : loin de représenter une pratique anachronique, elles sont emblématiques de la post-modernité. Elles viennent de très loin mais, pour cette raison même, sont à l’avant-garde du nouveau monde qui naît sous nos yeux.

(1) Le rythme de la vie. Variations sur limaginaire postmoderne, par Michel Maffesoli, La Table ronde, octobre 2004, 220 p. (2) “Tout ce qu’il faut savoir sur le vintage”, par Pierre Léonforté, in L’Express, 21/02/2005.

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