L’art de Rodin, côté atelier

L’exposition s’étant tenue de fin 2014 à la rentrée 2015, « Rodin, le laboratoire de la création » s’attelait à détailler les nombreuses étapes menant à l’aboutissement d’un chef d’œuvre.

Au moment où l’Hôtel Biron poursuivait sa rénovation, le Musée Rodin nous proposa une exposition nous emmenant aux sources de la création du sculpteur en présentant plus de 150 terres cuites et plâtres, dont certains jamais vus jusqu’alors. Ces travaux préparatoires nous expliquèrent ainsi les chemins parcourus par Auguste Rodin afin de donner vie à sa matière. On découvre ainsi des traces de fabrication et des fragments de visages parfois inachevés qui témoignent ainsi des hésitations mais aussi des éclairs de génie du maître.

L’exposition retraçait la carrière de Rodin à travers un parcours thématique et chronologique, de ses premiers essais à ses premières grandes commandes publiques décrochées vers 1880, en exposant aux yeux du spectateur des esquisses de terre, des moulages de plâtre, des maquettes ou encore des études de personnages… Ce maître acharné et en avance sur son temps se passionna aussi pour la photographie et on découvrit dans l’exposition près de 70 clichés qui montrent son travail, au sein de son atelier. Ces photographies nous exposent également comment Rodin utilisait ce médium pour diffuser ses œuvres, mais aussi pour les expliquer et les promouvoir… décidément en avance sur son temps !

Les chemins de la modernité

L’exposition nous a également permis de toucher aux secrets du sculpteur, en nous amenant à découvrir son processus de création, en commençant par les séries, avant les œuvres définitives, qui seront complétées par des photographies de Rodin lui-même pour finir d’élaborer ses compositions. Ainsi, l’œuvre ne prend tout son sens qu’après une suite de modifications. Nous voyons ainsi, grâce à cette exposition, comment ont été créées certaines des œuvres les plus célèbres de l’artiste comme le fabuleux « Penseur » ou encore le portrait de pied de l’écrivain « Honoré de Balzac ». La matière se construit sous nos yeux, les visages des sculptures prennent vie et nous avons ainsi pu découvrir toutes les phases en passant par l’exploration, l’observation et même l’expérimentation.

Même si Rodin ne réussit pas le concours d’entrée à l’Ecole des Beaux-Arts, il débute son art très jeune dans divers ateliers de sculpteurs et commence par la sculpture décorative. Très marqué par le travail de Michel-Ange, il mixe une passion subtile pour l’anatomie avec une puissance d’exagération dans l’expression des visages. Parmi ses premières sculptures, « L’âge d’Airain », de 1877, pris pour modèle un jeune soldat belge et elle exprime déjà la pleine maîtrise du sculpteur et sa réflexion sur la pose de son sujet. Rodin soutenait qu’il ne pouvait « travailler qu’avec un modèle », tant « la vue des formes humaines » le réconfortait. Refusant de présenter ses modèles sous leur meilleur jour, il prône l’authenticité des attitudes et prenait parfois un peu de liberté. Par exemple, pour sa sculpture « L’homme au nez cassé », représentant un badaud du quartier Saint-Marcel, Rodin accentua volontairement ses traits et creusa ses rides.

Ainsi, si Auguste Rodin travailla sur de grandes compositions comme « La Porte de l’Enfer », destinée à un musée des Arts décoratifs en premier lieu, les éléments qu’il travaillait sans cesse devinrent des œuvres à part entière. Par exemple, « Le Baiser », représentant les amants de « La Divine Comédie » de Dante, fut exposé seul dès 1887. L’accouplement des corps fait surgir des expressions que Rodin n’avait lui-même pas anticipé. Cette « Porte de l’Enfer », œuvre monumentale, l’occupa durant toute sa vie et, grâce à l’exposition, le spectateur peut ainsi appréhender tous les rebondissements qui jalonnèrent le projet au travers des multiples plâtres et études.

Dans la même veine, la fabrication de la statue de Balzac, qui fut commandée par la société des gens de lettres en 1891, est également explicitée grâce à des nus de plâtre, de multiples essais de têtes, mais aussi grâce à la fameuse robe de chambre qui recouvrira finalement le corps de l’écrivain, pour plus de simplicité.

Les commandes officielles et leur réception par le public

La première présentation de la statue de Balzac, au Salon de 1898, fut un scandale. En effet, pendant longtemps, le public fut réservé, voir même rejetait complètement les œuvres de Rodin.

Pour les « Bourgeois de Calais », commandé par la ville éponyme en 1884, Rodin travailla chaque personne individuellement avant de les recouvrir d’une large tunique. Les gestes furent marqués, les sentiments allaient de la résignation au désespoir, faisant même regretter aux commanditaires l’impression « d’une douleur, d’un désespoir et d’un affaissement sans borne. » Rodin est également audacieux puisqu’il se permet de poser le groupe au niveau du sol, afin de mettre la sculpture au même niveau que les gens de la Ville, plutôt que sur un socle.

Une autre commande compliquée fut le monument commémoratif à Victor Hugo pour le Panthéon, en 1889. Rodin choisit de le représenter posé sur les rochers de Guernesey entouré de muses et de sirènes. Une vision assez intimiste qui ne correspond toutefois pas à la solennité du lieu et qui vit le jury la refuser…

Enfin, le monument à la mémoire du peintre Whistler fut également mal accueilli puisque Rodin choisi de l’évoquer par une allégorie, une « muse grimpant à la montagne de gloire » avec la seule évocation du peintre dans un coffret funéraire. La sculpture donna ainsi un goût d’inachevé et le comité londonien la refusa à la mort du peintre.

Mais ses formes modernes furent aussi assez décriées par les contemporains de Rodin, et cela impliqua de nombreux changements de partis pris.

L’atelier : un laboratoire de formes

L’exposition présenta la méthode de travail de Rodin sous toutes ses formes. Il utilisa bien sûr beaucoup le plâtre, idéal pour les moulages car aisément façonnable et donnant une belle liberté dans la découpe. Rodin joua ainsi avec les masses et surtout les formes, afin de pouvoir considérer l’œuvre sous tous ses angles. Rodin se constitua un vrai répertoire de formes dans lequel il pouvait allégrement puiser pour articuler ses compositions. Les « abattis », ces membres séparés du corps et présentés lors de l’exposition, sont ainsi travaillés à part, les gestes et postures sont ainsi isolés avant d’être intégrés à l’œuvre. L’exposition montre ainsi comment Rodin a pu travailler les mains des bourgeois de Calais, pour leur donner un pouvoir d’expression important et fonctionnant même sans la sculpture complète. D’ailleurs, Rodin exposa la main dans un socle en bois, indépendamment, pour lui donner de la valeur. Cette main droite, que l’on retrouva dans la sculpture « La Main de Dieu », avec des figures d’Adam et Eve en son creux, fut réutilisée. Rodin utilisa parfois des éléments inattendus, en recomposant certains groupes de manière inédite. Par exemple, dans « Pierre de Wissant sans tête et sans bras », l’absence des membres montre l’attrait de Rodin pour l’inachevé, en présentant parfois la fragmentation et la mutilation au cœur de la sculpture. Il faisait parfois bien plus que répondre à une commande, en utilisant ce prétexte pour revenir à l’origine des formes. Il s’attelait également à varier les points de vue comme par exemple avec les « Trois ombres », qui couronnèrent sur la Porte de l’Enfer, alors que ce ne sont en réalité que la même sculpture présentée sous différents angles.

Au-delà de ses chefs-d’œuvre, la modernité constante de Rodin ne pouvait ainsi se comprendre que grâce à son expérimentation et à la décomposition des éléments, qui fut ainsi au centre de l’exposition. Au sein de cet atelier de formes, on garde l’impression que son processus de création artistique ne s’est jamais vraiment achevé.

Informations :

« Rodin, le laboratoire de la création »

Musée Rodin, 79 rue de Varenne, 75007 Paris

S’est tenue du 13 novembre 2014 au 27 septembre 2015

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