Picasso au MuCEM : les racines d’un révolutionnaire

L’exposition « Un génie sans piédestal », qui s’est tenue en 2016 dans le fabuleux musée marseillais, proposa de découvrir Picasso sous un nouvel angle : son rapport à l’artisanat et aux traditions espagnoles. Une manière d’apercevoir les racines du génie le plus marquant du XXe siècle, en même temps que ses ancrages méditerranéens.

« Seule la tradition est révolutionnaire », comme l’affirmait Charles Péguy, et ce paradoxe a été plutôt oublié durant la majorité de l’épopée moderniste qui a souvent préféré, en France en tout cas, mettre en perspective les notions de rupture et de nouveauté en entretenant un rapport polémique avec le passé…

Alors que les expositions sont de plus en plus « normées » et proposent des concepts ou thèmes parfois flous, voire arbitraires, l’exposition que nous présentait le MuCEM était très pertinente. Elle nous offrit un bon moyen de réfléchir sur le lien entre la tradition et l’innovation, entre la création collective et singulière, mais aussi entre le recyclage et les métamorphoses.

Atmosphère hispanique

L’entière création de Picasso, dans toute son immensité, est profondément imprégnée de la culture espagnole au sein de laquelle a grandi le maître. « Toute son œuvre est placée sous le signe du catholicisme exaspéré du sud de l’Espagne » affirmait le grand écrivain Jean Clair, en montrant comme, au-delà de l’engagement politique de l’artiste, ses tableaux les plus profonds cherchaient leur inspiration dans l’iconographie chrétienne. La Sainte Famille, les Nativités ou encore la Madone sont ainsi souvent représentées, ou du moins évoquées, que ce soit de manière blasphématoire ou parodique. Ainsi, Jean Clair a pu voir en Picasso un des derniers grands peintres catholiques du XXe siècle. La vie quotidienne espagnole a pu fournir à Picasso son vocabulaire, mais aussi des figures fétiches qu’il utilisa partout. Par exemple, la baratine, une coiffe traditionnelle portée par les catalans, ainsi que la mantille, portée par les femmes, ont fourni à Picasso de la matière pendant ses période cubique (1907 à 1914). La mandoline, à moins que ce soit une guitare, est également présente dans de nombreuses œuvres, qu’il s’agisse de sculptures ou de tableaux. Le cirque, pour finir, a fourni à Picasso une source d’inspiration presque inépuisable avec les arlequins, clowns, polichinelles ou même acrobates, permettant de représenter toute l’énergie qui fit le succès de Picasso.

Autres fétiches

Parmi ces autres fétiches figurent en bonne place les jouets, qui représentent bien l’enfant que Picasso est toujours resté, se jouant de tout, et jouant avec tous les éléments. Sa fameuse sculpture « La Guenon et son petit » en est un bon exemple puisque la tête est constituée de deux petites voitures et présente ainsi la dimension d’enfance et de jeu chère à l’artiste. Deux autres thèmes très connus de Picasso sont la tauromachie et la colombe. Si cette dernière est une réinterprétation du symbole biblique, la tauromachie est une des traditions les plus significatives de l’Espagne, et elle hantera toute la création de Picasso, étant un symbole de sang, et même de mort…

Techniques détournées

Même si Picasso puise ainsi dans le folklore et les traditions du pays qui l’a vu naître, il se sert aussi d’outils de l’artisanat plus traditionnel. A la suite de rencontres, fortuites ou non, il se sert de nombreuses pratiques existantes pour renouveler son travail. Notamment empreint du travail de Gauguin sur le bois, il réalise la statuette de « Femme assise » en 1930, qui représente cependant des bergers taillant des personnages au couteau… A la fin des années 40, il bouleverse la céramique avec l’atelier Madoura, à Vallauris, et réinvente les pignates de son enfance. L’orfèvrerie, une forte tradition issue du passé arabo-andalou, est une autre technique à laquelle il se frotte après sa rencontre avec l’orfèvre François Hugo. Également, la linogravure, toujours sur la Côte d’Azur, permettra au maître de réaliser des affiches, notamment pour des saisons taurines… on y revient. Plus surprenant encore, Picasso réalisa des tapis avec la collaboration de l’atelier de Marie Cuttoli, tapis ressemblant aux fameux « boucherouites », les tapis populaires du Maghreb. Enfin, il travailla aussi la tôle découpée et le béton gravé, puisqu’aucun matériau ne lui a décidément résisté.

Objets recyclés

Si l’art de Picasso s’est sans cesse joué des thèmes et des mythes, et l’a poussé à réinventer les techniques et les matériaux, il a également rejoué des objets en utilisant des effets alchimiques comme, par exemple, dans la célèbre « Tête de taureau » (1942), composée d’une selle et d’un guidon de vélo. « Il ne s’agit pas pour lui de faire du bricolage, mais de traduire le pouvoir évocateur de l’objet. » écrivirent ainsi Joséphine Matamoros et Bruno Gaudichon, les commissaires de l’exposition du MuCEM. Ce pouvoir de se jouer de tout nous renvoie à nouveau à l’attitude de l’enfant face au monde, une constante dans l’univers de Picasso. Qu’il s’agisse de masques nègres, de musique folklorique ou encore de l’objet artisanal traditionnel, Picasso a toujours ressaisi l’acte créateur à son commencement en exploitant la puissance des traditions. Il renouvelait le monde ancien et c’est ce contraste qui était au cœur de l’exposition s’étant tenue au MuCEM en 2016, produisant l’étincelle révolutionnaire dans tout le champ esthétique.

Informations

Picasso au MuCEM : les racines d’un révolutionnaire

MuCEM – Marseille

S’est tenue jusqu’au 29 août 2016

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