Roger Tallon, un designer aux frontières de l’art

En fin d’année 2016, le musée des Arts décoratifs de Paris a consacré une rétrospective à Roger Tallon, designer de talent connu notamment pour avoir réalisé le dessin du funiculaire de Montmartre, la maquette du magazine Artpress ou encore le TGV Duplex. Né en 1929 et décédé en 2011, il est considéré comme le « père du design français ». Et l’exposition a pu prouver que sa curiosité et son inspiration en ont fait un artiste qui partage nos vies au quotidien

Au début de la carrière de Roger Tallon, dans les années 50, alors que la France est entièrement focalisée sur l’effort de reconstruction, on ne parle pas encore de design, loin de là, et encore moins dans l’industrie. Grâce à ses recrutements successifs au sein de poids lourds de l’industrie américaine (Caterpillar, Dupont de Nemours puis GM et Frigidaire), Tallon découvre la conception du design outre-Atlantique, une activité à part entière au sein des entreprises. C’est cette vision, qui ne cantonne pas le design à de la simple déco, que Tallon va alors promouvoir en France avec une intuition majeure : celle que le design va devenir central dans notre société dans les années à venir !

Et il n’eut pas tort puisque la France rentra ensuite dans les « Trente Glorieuses ». Tout le pays construit, invente et consomme avec un optimisme jamais vu jusqu’alors. Ayant intégré l’agence Technès, créée par Jacques Viénot, Tallon se frotte à divers domaines comme l’électroménager, les appareils photos, postes de télévision ou encore le matériel de bureau. Comme l’ont précisé à l’époque les créateurs de l’exposition du musée des Arts décoratifs, « son héritage a tellement façonné notre quotidien que l’on a fini par oublier que son nom est notamment attaché à celui du Corail, du TGV Duplex, du funiculaire de Montmartre et de la maquette de la revue Art Press »

Cette frénésie de créations n’empêche pas que Tallon demeure exigent envers lui-même et, surtout, cohérent. « Pour Tallon, le design devait être global et s’appliquer à tous les aspects d’un projet, en englobant notamment l’ergonomie, les couleurs, l’emballage ou la signalétique. » Alors, lorsqu’il décide de se lancer dans le grand bain en ouvrant sa propre agence, Design Programmes SA, « le produit devient l’une des composantes d’une problématique générale. » Tallon a enfin compris, bien avant ses contemporains, que les objets portent des valeurs et que le design peut relever d’une dimension culturelle. Il conçoit alors de nombreux objets iconiques qui marquent leur temps comme l’escalier hélicoïdal Module M400, pour la galerie Lacloche ou les chaises Wimpy et TS pour Sentou.

Afin d’enrichir ses sources d’inspiration, il explore de nouveaux territoires dans l’art, aux côtés des nouveaux réalistes notamment, comme l’a rappelé François Jollant-Kneebone : « la mort soudaine d’Yves Klein en 1962 interrompt leurs recherches et rapproche durablement Tallon et César. À Tallon la découverte de nouveaux matériaux, de nouveaux procédés, à César leur mise en œuvre. Tallon voit dans l’art un complément indispensable et une frontière flexible entre sa pratique du design et la dimension de recherche qu’il développe dans toutes les directions.”

De nombreux exemples illustrent parfaitement cela comme lorsqu’en 1966 César reçoit une commande de crèche à réaliser pour l’aéroport d’Orly, qu’il conçoit, évidemment, avec Tallon. Ils réalisent à cette occasion les Sièges Portraits, à l’effigie de célébrités de l’époque comme Picasso, Dali, Antoine, Zitrone, Brigitte Bardot, Mireille Mathieu, le général De Gaulle ou… César et Tallon eux-mêmes ! Rebelote en 1970 lorsque, tout juste nommé coordinateur artistique du pavillon français de l’Exposition universelle d’Osaka, Tallon créé les Têtes parlantes géantes. Des moulages de Johnny Halliday, Sylvie Vartan, Georges Moustaki ou encore Françoise Hardy qui s’animent grâce à des projections d’images. Roger Tallon transforme alors des missions « banales » en performances artistiques de talent !

Pourtant, il réfutait le caractère artistique de son design en affirmant : « Je ne suis pas un intuitif, je suis dans la réalité la plus totale. Mon escalier, apparemment organique, n’est pas un Brancusi. Il est le résultat d’une recherche sur les tensions du caoutchouc, il est aussi concret qu’une hélice d’avion. Je ne plaque pas de l’art sur de l’utilitaire ». Pourtant, en nous repenchant sur les maquettes, objets et autres créations qui furent exposés au musée des Arts décoratifs, nous ne pouvons nous empêcher de nous interroger sur les minces frontières séparant le design et l’art.

Informations

Roger Tallon, le design en mouvement

Musée des Arts Décoratifs de Paris

S’est tenue jusqu’au 8 janvier 2017

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