Vermeer au Louvre : une tentative d’élucidation du « Sphinx de Delft »

Retour sur l’exposition présentée par le Louvre début 2017 autour de Johannes Vermeer, un des plus fameux peintres de l’âge d’or de la peinture néerlandaise, mais aussi l’un des plus énigmatiques. L’exposition, le présentant au cœur de l’émulation artistique de son époque, permet de mieux comprendre son génie.

Après une période où il fut presque inconnu, Vermeer a été « redécouvert » par Théophile Thoré-Burger, critique d’art de la seconde moitié du XIXe siècle, et occupe aujourd’hui une place de choix parmi les maîtres de la peinture mondiale notamment grâce à la splendide « Jeune fille à la perle », surnommée fréquemment « Joconde du Nord ». Ce tableau eut d’ailleurs l’honneur d’inspirer un film éponyme de Peter Weber en 2003 tandis que l’œuvre « La Laitière » eut une formidable reconnaissance publicitaire, tout cela contribuant à insérer Vermeer dans l’imaginaire collectif du grand public, notamment en France et dans son pays d’origine. Les expositions ou événements qui lui sont consacrés sont ainsi à chaque fois de grands succès populaires et celle du Louvre ne fut pas une exception. En effet, l’affluence, notamment lors des premiers jours, fut énorme et le musée dut même imposer des réservations drastiques par créneaux horaires pour faire face à l’afflux massif de curieux qui voulaient observer d’un peu plus près l’œuvre du natif de Delft.

Un réseau d’artistes

Même si Vermeer fut estimé de son vivant, il peignit relativement peu par rapport à ses contemporains et il n’existe guère d’éléments biographiques sur lui. Ces derniers montrent une vie à la fois précaire et mouvementée avec de nombreux enfants, un beau-frère violent et, en bref, un quotidien très loin des sujets de prédilections du maître hollandais que furent les intérieurs galants, aristocratiques et élégants. Mais s’il est donc compliqué d’analyser son art par le plan autobiographique, il est possible de s’attarder sur les périphéries et ce fut le choix du Louvre pour cette exposition. Effectivement, Vermeer développa son art dans un climat d’émulation fantastique au sein des Pays-Bas, nommés à l’époque Provinces-Unies. Ainsi, en créant un art novateur, les artistes s’affirmèrent face aux monarchies qui les entourent. Le pays est industriel, riche et ouvert sur le Monde grâce à ses ports, et il compte des élèves brillants et même des maîtres qui élaborent ensemble une période glorieuse pour l’Histoire de l’Art, grâce à un vrai réseau s’étendant dans toutes les Provinces. Afin d’illustrer cela, l’exposition fonctionnait par thèmes, en mettant ainsi en scène la façon dont ils ont été découverts et déclinés.

Scènes de genre

Cette peinture de scènes de genre, comme elle fut appelée ensuite, fut développée par les peintres hollandais du XVIIe siècle et elle correspondit à un climat particulier, qui transparait dans ce culte de la vie d’intérieur. Souvent, la jeune fille en est une héroïne, telle une nymphe esseulée au sein de décors bourgeois, de tissus féériques, de métaux éclatants ou encore de jeux de lumière. Les épistolières sont également un thème de choix pour ces artistes natifs d’un des pays les plus cultivés d’Europe, et un moyen également d’évoquer des enjeux galants. La « visite impromptue » devient ainsi un thème de la peinture d’Histoire à part entière.

Recyclages et mutations

Les mini-scènes présentent en général des interactions entre personnes de la haute condition et aux mœurs raffinées. Par exemple, le thème du repas d’huîtres, connoté et donnant lieu à des séductions alcoolisées, est souvent réalisé avec style. Après ter Borch, Van Mieris s’y est attelé à Leyde. Jan Steen, à Warmond, s’y est essayé aussi, dans une atmosphère plus inquiétante. Également, Netscher, à la Haye, a joué avec les thèmes de son maître, Dou, comme le perroquet nourri par une demoiselle en introduisant une particularité, un page, qui sera souvent présent dans les peintures de ses confrères. Les motifs sont ainsi quasi infinis tout comme leur combinaison et leurs déclinaisons qui font ressortir les particularités des caractères de chaque artiste. Les influences sont ainsi circulaires comme le prouve la réplique de ter Borch à ses élèves sur le sujet de la pelleuse de pommes. Un changement de sexe, ou de classe sociale, peut ainsi suffire à réinterpréter une saynète comme lorsque Ochtervelt échange un soldat paillard à un dandy… Dans ce grand réseau d’influences, Van der Neer à Rotterdam et, surtout, Vermeer à Delft se trouvent souvent en bout de chaîne et profitent donc ainsi des expériences réalisées par leurs contemporains.

Vermeer au sommet

Ainsi, c’est grâce à cette expérience artistique commune que le génie de Vermeer éclos, tel un vrai laboratoire en réseau. Le parcours de l’exposition nous a permis, à l’époque, de bien nous en imprégner, tout en finissant sur un point d’orgue pour l’artiste de Delft. En effet, deux hommes et deux femmes, d’un côté « L’Astrologue » et « Le Géographe » sont éclairés par la lumière de la raison et contrastent avec les alchimistes si pittoresques de Gérard Dou. De l’autre, la « Laitière » qui appartient au Rijskmuseum côtoie « La Dentelière », propriété du Louvre. Deux femmes silencieuses, occupées dans une activité délicate, tout comme les musiciennes qui font allégrement partie de l’œuvre de Vermeer. On put aussi découvrir dans cette exposition une « Allégorie de la foi », dans laquelle Vermeer, grand catholique, intégra des motifs religieux dans son cadre habituel d’intérieur raffiné. Si son talent fut bien entendu émulé par celui de ses contemporains, et l’exposition l’a bien prouvé au cours d’un parcours très saisissant, le Delftois, avec ses détails, la justesse de ses attitudes, la supériorité spirituelle de ses peintures ou encore les expressions de ses personnes, a sublimé à lui tout seul l’activité créatrice de tout un pays… et de toute une époque !

Informations

Vermeer et les maîtres de la peinture du genre

Musée du Louvre, 75058 Paris

S’est tenue du 22 février au 22 mai 2017

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