Irving Penn : la photographie comme art majeur

En fin d’année 2017, à l’occasion du centenaire de sa naissance, le Grand Palais a dévoilé une exposition sur l’un des maîtres de la photographie, l’américain Irving Penn. Retraçant le parcours du photographe des années mythiques, l’exposition s’attarde également sur ses liens avec le grand classique.

La rétrospective offerte par le Grand Palais, panoramique et très riche, offre un hommage de grande envergure à l’un des maîtres du XXe siècle, Irving Penn. Une des premières choses qui marque le visiteur est la manière de photographier de l’américain, qui en a fait un héritier de la peinture occidentale. Ses premières photos, à la fin des années 30, sont d’ailleurs des natures mortes qui perpétuent totalement la tradition picturale, comme cette salade et ses cuillères remplies d’huile ou encore ces poireaux dans une casserole, posés devant une image de bœuf, une subtile mise en scène, parfois flamboyante, comme peut l’être After Diner Games. Des scénettes dont les participants ont disparu subitement, dont il ne reste que quelques objets…

Mais la carrière du photographe américain ne démarre réellement qu’après la guerre lorsque le directeur artistique du magazine Vogue, Alexandre Liberman, lui commande des portraits de stars. Dans des décors rustiques, dans des angles jamais trouvés jusqu’alors, Irving Penn révèle l’étincelle de chaque personnalité qu’il « shoote » avec son appareil. Le résultat est inédit dans l’atmosphère, les lignes, la posture ou même dans les détails. Hitchcock, par exemple, semble faire le dos rond sur la Lune. Dali s’affirme éclatant et ironique, avec ses moustaches iconiques. Toutes ces étoiles sont alors à New York pour rencontrer Irving Penn, comme Duchamp, Grosz ou encore Stravinsky…

L’éternel et le transitoire

Irving Penn est alors reconnu comme un portraitiste de talent mais cela ne suffit pas à Liberman qui envoie alors son protégé se frotter à l’âpre monde de la mode. N’aimant pas la foule, il réussit à ramener les mannequins dans son studio où il se sert le plus souvent d’un vieux rideau de théâtre comme décor. Ce studio, qui le suivra partout dans le Monde par la suite, devient l’équivalent d’un atelier de peintre alors même que sa méthode est à l’opposé de l’impressionnisme. En effet, alors que Renoir et Monet ont fait sortir la peinture de leurs ateliers pour croquer dans les gares ou en pleine nature, afin d’avoir des effets de lumière naturels, Irving Penn opère un mouvement symétrique et ramène le monde vivant, capté par son objectif, dans un lieu hors du temps. Il préfère utiliser le noir et blanc et, au sein de « The twelve most photographed models », il arrive à faire passer ces sublimes jeunes femmes pour des statues. Autre composition iconique, « The Tarot reader » au sein de laquelle les femmes en smoking noir, aux coupes extravagantes, sont en train de lire des cartes de tarot devant une affiche représentant une main de voyante… une composition parfaite, et esthétique !

Types exotiques ou types modernes

Ainsi, Irving Penn transforme ces sujets en archétypes, dans une perspective encore et toujours classique, et cela même lorsqu’il photographie les indigènes de Cuzco, au sein de leur vie quotidienne, ou même lorsqu’il débute la plus importante série de sa carrière, les petits métiers, dans les années 50. Il photographie ainsi toute la ville moderne, de la marchande de ballons au boucher, en passant par l’acteur, le vitrier, le poissonnier ou même le pompier, qui posent tous avec un signe distinctif, de Paris à New York via Londres. Un incroyable portrait marque aussi la carrière de Penn, dans lequel tous les vêtements de Jean Cocteau, qui pose tel un oiseau frêle, sont ornés d’un motif différent, provoquant ainsi une subtile hypnose, mais au sein duquel figure aussi Colette, représentée telle une chouette, et Picasso en fascinant cyclope.

Un grand déploiement

La deuxième partie de l’exposition du Grand Palais montrait l’art de Penn, après maturation, et jusqu’à son apogée au début du nouveau millénaire. Les nues aux formes généreuses compensent ainsi les mannequins maigres de Vogue. Mais là encore, il continue dans sa lignée de peintre classique comme, par exemple, lorsqu’il part en Nouvelle-Guinée, au Maroc ou encore au Dahomey dans les années 70, rappelant ainsi les photographies coloniales du siècle précédent. La démarche est toutefois ici plus esthétique qu’anthropologique comme lorsqu’il exhibe le buste scarifié d’une jeune Africaine, pour révéler sa beauté spécifique. Une série de mégots pousse le concept de la nature morte à son paroxysme tout comme d’autres déchets magnifiés par la virtuosité du maître.

Enfin, l’exposition s’achevait sur une rétrospective de portraits, s’étalant des années 60 à 2007, et donnant alors un vertige temporel à la photographie d’Irving Penn qui aura su capturer de vrais visages et de vrais instants, à la manière des maitres des siècles précédents, antérieurs à la photographie.

Informations

Irving Penn

Grand Palais, 3 avenue du Général Eisenhower

75008 Paris

S’est tenue jusqu’au 29 janvier 2018

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