Les secrets du biscuit de porcelaine à la manufacture de Sèvres : reflet d’un XVIIIe siècle gracieux et désinvolte

Retour sur l’exposition de la rentrée 2015 à la Cité de la céramique à Sèvres, qui nous a présenté ses productions de l’âge d’or de la manufacture : la seconde moitié du XVIIIe siècle. Grâce à l’influence du roi Louis XV qui y consacra une part importante de la production du royaume, mais aussi avec l’aide des commandes de Madame de Pompadour, Sèvres a pris la place de la manufacture de Meissen en Saxe parmi les premières mondiales. C’est également à cette époque qu’est né le fameux biscuit de Sèvres, une porcelaine cuite et non émaillée, réputée pour ses dessins d’une extrême finesse et pour sa blancheur. Ces petites figurines de porcelaines connurent un succès énorme au sein des « Lumières » et étaient alors incluses dans des objets tels que des candélabres ou meubles, mais servaient aussi de décors de tables alors même que la table « à la française » faisait son entrée dans les cours européennes.

En plus d’une centaine de biscuits de porcelaines, de sculptures en terre cuite mais aussi de moules en plâtre, ce sont des dessins, des gravures et même des peintures qui jalonnèrent le parcours de cette exposition en dix sections. On y trouva des thèmes de prédilection pour l’époque tels que les enfants et les amoureux mais aussi des scènes de contes, de fables ou même de la vie quotidienne. La dernière partie de l’exposition fut consacrée à des portraits de personnages célèbres ayant pris part à la Révolution française. En bref, une exposition didactique nous plongeant avec succès dans la société française du XVIIIe siècle.

Un procédé de fabrication complexe

Nous l’avons déjà évoqué, cette exposition présentait de très nombreux modèles en terre cuite. Ces modèles, endommagés par les bombardements alliés et restaurés peu de temps avant l’exposition, permettent de nous exposer les exigences de la création avant le passage à la réalisation en porcelaine. En effet, ces figurines furent d’abord réalisées en porcelaine tendre avant la découverte du kaolin en 1772, et ce processus de création passe par de nombreuses étapes et par différents moules. Les visiteurs ont ainsi pu découvrir la matière brute dans laquelle on distinguait des empreintes de doigts, des détails ou même des raccords, témoins d’une fabrication complexe. Un processus de création qui est mis en exergue par le somptueux Pygmalion et Galatée, chef d’œuvre de Falconet qui fut exposé en 1763, et qui mis en scène un sculpteur tombé amoureux de la statue qu’il vient de créer et qui prend vie devant ses yeux.

Des reproductions inspirées par les grands artistes du XVIIIe

Au moment où Sèvres prend la suite de la manufacture royale de Vincennes, grâce notamment à une qualité bien supérieure à celle venant de Chine, la réussite de la fabrique est aussi attribuée à la participation de grands noms, jugez plutôt. Falconet prit la suite de Jean-Jacques Bachelier et dirigea ainsi l’atelier de sculpture à partir de 1757, passant ensuite la main à Louis-Simon Boizot qui y siégea jusqu’en 1809. Les commandes s’inspiraient alors de grands sculpteurs de l’époque comme Jean-Baptiste Lemoyne, Jean-Antoine Houdon, Edmée Bouchardon ou encore Caffieri… et la liste est longue. Des reproductions de pièces célèbres sont alors créées en biscuits comme par exemple « l’Amour menaçant » de Falconet. De nombreuses compositions sont inspirées par la peinture, par des tableaux de François Boucher, par des scènes pastorales, ou même par des ensembles d’animaux comme la célèbre « Chasse au loup ». Objets de décoration, les biscuits s’inspirent aussi allégrement de modèles créés par des orfèvres comme par exemple Duplessis, inspiration libre des nymphes à la coquille.

Au temps de l’innocence et de l’insouciance

La vie aristocratique sous l’Ancien Régime transparait bien dans les sculptures et dans la finesse de leurs ornements. Un thème de prédilection fut l’enfance, magnifiée dans cette époque marquée par l’inspiration de Rousseau. On y découvrit ainsi des enfants espiègles, rieurs ou encore s’attaquant à des insectes. Les sentiments de l’enfance se retrouvèrent ainsi en sculptures dans des compositions faisant la part belle aux amours volages, inspirés des pièces de Favart et de l’opéra-comique. Ces représentations très touchantes laissaient aussi la part belle à des scènes de bain et de toilette dans le plus pur style de Boucher. La danse et le divertissement n’ont également pas été oubliés notamment car la reine Marie-Antoinette a fait créer « le Quadrille de la reine », une série déclinant des gens costumés, en pleine danse. Une autre commande de la royauté fut « la Conversation espagnole », librement inspirée du tableau de Van Loo, et, enfin, une dernière concernait des scénettes adaptées de l’histoire de Don Quichotte, scénettes exécutées sous la direction de Bachelier lui-même.

Les « Grands Hommes »

La sculpture fut aussi, par moments, religieuse, rappelant notamment que des saints furent envoyés en Asie vers 1765, pour les missions jésuites, et cela apparait bien dans l’œuvre de Falconet « La Tentation de Saint Antoine et l’Evanouissement de Sainte Madeleine ». Ce magnifique chef d’œuvre représentait une transition de qualité avec la salle qui traitait des « Grands Hommes », une initiative visant à créer des sculptures en marbre, à taille réelle, de glorieux personnages du royaume, initiative lancée par le comte d’Angivillier, qui fut directeur des bâtiments sous Louis XVI. On put ainsi admirer lors de cette exposition 25 terres cuites, parfois associées à leur céramique, qui représentèrent des soldats comme Turenne, des hommes d’état ou encore le comte de Tourville par Houdon. Mais ce n’est pas tout et certaines personnalités littéraires eurent aussi l’honneur d’avoir leur sculpture comme Molière ou La Fontaine assis sur un tronc d’arbre en compagnie d’un renard, illustration imaginaire de la fable qu’il écrivit.

Enfin, après ces Grands Hommes, la période révolutionnaire fut exposée, période où la production de Sèvres continua malgré le départ de la famille royale. Les sujets devinrent alors plus sérieux, et l’exposition le fait ressentir, montrant des enfants guerriers armés de canon, figures de grandes assemblées comme Lepeletier ou Bonaparte, marquant ainsi la fin de la légèreté du XVIIIe siècle.

En conclusion, ce parcours didactique a réellement introduit et expliqué le savoir-faire de la céramique dans une belle scénographie mettant en valeur les œuvres très diversifiées. Une exposition qui nous donna un goût de l’élite du XVIIIe siècles et la sensation d’avoir découvert des trésors cachés, maîtrisés à la perfection par leurs créateurs.

Informations :

« La Manufacture des Lumières »

Sèvres – Cité de la céramique

2, place de la Manufacture, 92310 Sèvres

S’est tenue du 16 septembre 2015 au 18 janvier 2016

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