Le Caravage français : hommage à Valentin au Louvre

Valentin de Boulogne a beau avoir transité entre Poussin et Le Caravage, il exploitait les sujets classiques grâce à un naturalisme hors du temps. Retour sur l’exposition qui s’est tenue au Louvre en début d’année 2017 !

En Valentin se révèle une puissance énorme, une capacité à subjuguer le spectateur et à l’enfouir dans les mystères les plus épais de l’Histoire de l’Art. La riche monographie qui lui fut consacré au Louvre en a livré de nombreuses preuves. Déjà, la vie de ce fameux peintre français, qui fit carrière à Rome, recèle de nombreux contrastes puisqu’il était passionné par les bouges, ce qui ne l’empêcha pas d’obtenir une consécration par la famille papale ou d’avoir l’honneur de voir certaines de ses toiles exposées dans la chambre de Louis XIV. La toile d’introduction de l’exposition était très bien choisie, avec ce « David et Goliath » impressionnant et bouleversant à la fois, représentant le mythe sous forme d’un drame immédiat alors qu’un jeune homme que rien ne destinait à ce combat se retrouve avec le poids sur ses épaules d’un exploit de taille… poids que l’on ressent forcément en tant que spectateur.

Le culte du Caravage

Lorsque Valentin de Boulogne s’installe à Rome au début du XVIIe siècle, il y découvre ce qui ressemblera plus tard à une sorte de Montparnasse au début du XXe. En effet, tous les artistes des pays limitrophes s’y sont donné rendez-vous et s’inspirent des références locales tout en cultivant une vie de bohème où se mélangent filles légères, joueurs, alcool, musique et mauvais garçons. Icône de toute une génération, le Caravage les fait tous rêver, lui qui a dû quitter précipitamment la capitale après avoir commis un meurtre lors d’une beuverie, mais en laissant tout de même quelques chefs-d’œuvre emplis de violence, tragique, crudité… dans une atmosphère et une esthétique inédites. Valentin se retrouve donc au milieu de cette inspiration et s’approprie les icônes de sa nouvelle vie romaine : soldats en maraude, bohémiennes avides d’argent, gentilshommes corrompus… et la liste est longue, mais toujours avec son interprétation très personnelle. D’ailleurs, son interprétation du « jeu de cartes » révèle une dramaturgie extrême, avec des visages qui s’affrontent à la lueur des flammes, du désir et du destin. Dans « La Diseuse de bonne aventure », il expérimente un format épique et une complexité de composition dans un sujet qui est pourtant léger…

Le Cabaret du Christ

Le plus impressionnant dans son œuvre réside dans la démarche inverse. En effet, lorsqu’il peint une scène biblique, telle que « Le Reniement de Saint Pierre », il le fait dans une scène de son temps, avec des joueurs et des soldats romains qu’il croise dans des beuveries. Lorsqu’il se représente en Saint Jean Baptiste, c’est avec une moustache et un bouc, dans un anachronisme absolu. Ses cadrages resserrés comme dans le « Couronnement d’épines » imposent un format immense, une dynamique rapide et une mise en situation inéluctable qui projettent ainsi le spectateur comme un film arrêté au sommet de son suspens. C’est donc ainsi l’application des trois unités du théâtre classique que l’on retrouve dans sa peinture.

Un œil toujours neuf

Grâce à ses mises en scène et à ses contrastes de talent, Valentin stimule le regard du spectateur dans une puissance qui semble se renouveler sans arrêt. Impossible de s’habituer à son style ou de ne plus s’étonner face à ses œuvres. Le Saint Jean de sa « Cène » en est une version tellement bouleversante et inédite qu’il semblerait que ce soit la première fois que nous assistons à ce célèbre repas. L’ange dans son portrait de « Saint Matthieu » a le visage d’un enfant que Valentin a croisé dans la rue, plutôt que d’un symbole religieux, mais cela ne choque pas tant c’est évident. L’incarnation est toujours préférée à l’idéalisme et cela quel que soit le sujet, que ce soit dans les compositions bibliques ou dans les allégories comme ses plus fameuses, les « Quatre âges de l’homme » ou l’immense « Allégorie de l’Italie », réalisée pour le Cardinal Barberini, neveu du pape Urbain VIII. Ce dernier organise le triomphe de Valentin de son vivant en lui commandant le « Martyre des Saint Procès et Martinien », pour la basilique Saint-Pierre de Rome, mise en parallèle avec « Le Martyre de Saint Erasme », de Nicolas Poussin… deux français éblouissant l’éternelle Rome de leur talent.

Troublante mélancolie

La mort de Valentin résume bien sa vie lorsqu’en 1632, au sommet de sa gloire, il périt après une nuit d’orgie terminée dans une fontaine d’eau glacée. La dernière salle de l’exposition que le Louvre présentait en 2017 s’attelle d’ailleurs à expliquer la présence accrue de la mélancolie dans l’œuvre du peintre français à partir de 1620, comme pour expliquer sa fin. Serait-ce un suicide inconscient dont on aurait pu deviner les prémices dans ses ultimes toiles ? Cette mélancolie put en effet se révéler abyssale comme dans « Le Concert au bas-relief » où, parmi les musiciennes et les soldats ivres, plutôt classiques, se trouve un enfant en plein centre qui fixe le spectateur avec une lassitude désarmante dans le regard. Ainsi, dans cette mélancolie finale, Valentin de Boulogne aura démontré son génie du contraste et sa faculté à créer des vertiges, vertiges qui continuent à saisir le spectateur, même aujourd’hui encore.

Informations 

Valentin de Boulogne : Réinventer Caravage

Musée du Louvre – 75058 Paris

S’est tenue du 22 février au 22 mai 2017

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